1865, les débuts du transport en commun à Québec

1865, les débuts du transport en commun à Québec

Lors de son assemblée générale du 8 décembre dernier, Subvercité a fait de la gratuité du transport en commun le thème de sa prochaine campagne. Voici un texte écrit en juin 1982 sur le sujet paru dans Droit de parole.

Le tramway circulant rue Hermine en 1907, BAnQ.

Par Réjean Lemoine

Le développement d’une ville est conditionné par les facilités offertes à ses citoyens en moyens de transport. La croissance démographique et économique de la ville de Québec dans la deuxième moitié du XIXe siècle, en particulier des quartiers Saint-Roch et Saint-Sauveur, favorise la naissance du transport en commun. A partir de 1865, apparaissent dans la ville de Québec des tramways tirés par des chevaux qui sont les ancêtres de nos autobus.

Entre 1865 et 1897, Québec va voir la mise en place de deux lignes de tramway dans la haute et la basse-ville, rue Saint-Joseph et Saint-Jean. Ces lignes de transport, en plus de permettre aux citoyens de construire leur résidence de plus en plus loin du centre-ville, vont favoriser la spéculation foncière chez les promoteurs de ces projets. Finalement ils vont remettre en cause les revenus des conducteurs de charette et de calèche qui assuraient le transport à Québec depuis la naissance de la ville au XVIIe siècle.

C’est à l’automne de 1863 qu’une brochette de citoyens et hommes d’affaires de Québec présentent au parlement du Canada-Uni une pétition pour obtenir l’incorporation d’une compagnie de tramways dans la ville de Québec. En octobre de la même année le parlement leur accorde un « acte pour incorporer la compagnie du chemin de fer de Québec ». L’investissement demandé est de 100 000 $, chaque action coûtant 50$. Cette loi spécifie également que la compagnie doit s’entendre avec la ville avant la construction des rails.

Dans la liste des actionnaires nous retrouvons deux conseillers municipaux et un futur maire de Québec, Pierre Garneau, qui sera pendant quelques années maire de la ville et président de la Quebec Street Railway Co. De plus nous retrouvons dans ces premiers actionnaires de gros marchands comme Eugène Chinic, des industriels et des notaires. Il y a longtemps que politique municipale et transport en commun sont lucrativement liés à Québec.

Le tramway en 1880, Place Royale.

Le bureau de direction de la Quebec Street Railway Co. signe en novembre 1864 une entente avec la ville qui détermine les règlements et tarifs des nouveaux tramways en plus de leur accorder un monopole sur le transport en commun à Québec. En juillet et août 1865 la compagnie construit la première ligne de tramway qui part du Boul. Langelier (Saint-Ours à l’époque) longe les rues Saint-Joseph, Saint-Paul et Saint-Pierre jusqu’au marché Champlain. Le coût d’un billet est de cinq sous alors que le voyage en calèche coûte à l’époque entre vingt-cinq et cinquante sous.

Première ligne de tramway

Cette première ligne est inaugurée le 17 août 1865, mais depuis un an déjà la compagnie avait mis en service sur ce même parcours des omnibus (voitures à chevaux sans rail). Ces premiers omnibus, comme les tramways, provoquent des troubles dans la ville, car les charettiers se voient concurrencer de manière déloyale par ces compétiteurs que sont les tramways. Des tramways sont attaqués le soir, des rails sont arrachés et des chauffeurs brutalisés. Quelques arrestations s’en suivent, mais à l’époque les journaux affirment qu’on ne peut arrêter le progrès. À Montréal, à la même époque, une grève générale des charretiers éprouve durement la ville. Comme les syndicats n’ont pas à ce moment d’existence légale, il ne peut y avoir ni de loi-matraque ni de services essentiels à faire maintenir.

Mais pour la Quebec Street Railway Co. les problèmes ne s’arrêtent pas là. La compagnie doit assurer le transport l’hiver en utilisant des traineaux qui, n’étant pas chauffés, sont peu populaires donc pas très rentables. De plus, la ville et la compagnie se chicanent régulièrement sur l’entretien des rues et des rails, chacun s’accusant mutuellement de ne pas porter attention aux biens de l’autre. L’automne et le printemps sont des saisons difficiles pour les rails en bois de la Quebec Street Railway Co.

Cette compagnie a reçu de la ville en 1864 le droit de construire des lignes de tramway dans les 5 quartiers de la ville, mais dans les années 1870 seule la ligne Marché Champlain-Langelier est en opération. La compagnie qui fait des profits avec cette ligne refuse de s’aventurer à relier la haute et la basse-ville à cause des coûts inhérents à cette opération. Elle ne s’opposera pas à la naissance d’une compagnie rivale dans la haute-ville. En effet, devant l’inertie de la Quebec Street Railway Co. un autre groupe d’hommes d’affaires décident en 1877 de fonder la St-John Street Railway qui desservira la haute-ville par la rue Saint-Jean entre la rue Buade et les limites de la ville après le faubourg Saint-Jean. Jusqu’à la fin du siècle deux compagnies privées desserviront Québec. Ces deux lignes favorisent le développement de deux quartiers de la ville. Dans la basse-ville le quartier Saint-Sauveur et dans la haute-ville le quartier Montcalm.

Le tramway sur la Grande Allée en 1907, BAnQ.

Quant aux lignes elles-mêmes, durant la période d’hiver elles facilitent l’accès au pont de glace entre Québec et Lévis, ainsi qu’aux patineurs. Durant l’été le règlement stipule que la vitesse maximale est de six milles à l’heure, alors que le tramway électrique à la fin du siècle pourra atteindre les vingt milles à l’heure.

Attitude de la municipalité

C’est sans trop d’enthousiasme que les édiles de Québec s’impliquent dans le transport en commun. Participant financièrement à de grands projets de chemins de fer comme le Québec-Lac Saint-Jean et le Québec-Montmorency – Charlevoix; ils ne voient pas d’intérêt immédiat dans le transport urbain à chevaux sur des rails de bois alors que l’époque est aux trains à vapeur et aux rails de fer. En fait l’apparition des rails dans les rues de Québec force la municipalité à mieux entretenir ses rues pour ne pas subir les foudres des compagnies de tramway. Les promoteurs immobiliers, eux sont plus perspicaces. Ils savent que si le transport en commun rapporte peu directement, par le jeu de la spéculation il permet d’orienter l’expansion de la ville, de faire monter les prix des terrains et ainsi d’empocher des profits intéressants.

Durant les années 1895 et 1896, les milieux d’affaires de Québec lancent une campagne pour l’introduction des tramways électrique en remplacement des chars à chevaux. L’heure est à l’électricité, patronée par la Semaine Commerciale, journal d’affaires de Québec, ils intéresseront un « syndicat » financier américain à venir doter Québec du Tramway électrique que Montréal possède depuis 1892. Les deux compagnies de tramway existantes à Québec ne semblent pas vraiment intéressées à se faire les promoteurs de cette nouvelle technologie. Pourtant l’ère des chars à chevaux est définitivement passée, mais les financiers québécois ne doivent pas avoir les reins suffisamment solides pour se lancer dans une telle opération.

Sous la conduite de H.J. Beemer, ingénieur, des ententes sont conclues et en juin 1897 des ouvriers commencent l’électrification du réseau de tramways de Québec avec une ligne pour relier la haute et la basse-ville. Le nouveau maire de Québec, Simon-Napoléon Parent, participe aux négociations, la ville fournissant des garanties. Finalement à l’été 1897, les tramways électriques font disparaitre les chars à chevaux.

Tramway dans la cote d’Abraham, vers 1905, BAnQ.

Monopole de la Quebec Power

C’est l’ère du parti libéral triomphant et des trusts qui commencent. Par un projet de loi fédéral la Quebec Street Railway Co. et la St-John Street Railway sont fusionnés pour former la Quebec Railway Co, ancêtre de la célèbre Quebec Power qui va contrôler tous les services publics de la ville de Québec pendant la première moitié du XXe siècle.

La Quebec power deviendra propriétaire du gaz, de l’électricité et des tramways. Ainsi la récession économique de la fin du XIXe siècle est terminée. Avec Parent et ses successeurs Québec connait des jours meilleurs. En ce qui concerne les citoyens de Québec ils ont eu peu à dire jusqu’ici dans l’histoire du transport en commun sauf dans les tous débuts lorsqu’ils se sont opposés à la construction des premières lignes de tramways. La majorité des habitants des quartiers de Saint-Roch et Saint-Sauveur sont à la fin du XIXe siècle sont des ruraux récemment arrivés en ville qui constituent un réservoir de cheap labor pour les compagnies de bois et les manufactures. Ils ont peu à dire dans le développement du transport en commun et ne prennent pas part aux décisions. Ceux qui les prennent pour eux sont à la fois policitiens municipaux, administrateurs de compagnie de tramway et spéculateurs fonciers.

Malgré qu’aujourd’hui les villes sont faites en fonction des automobiles des citoyens plus que pour ces citoyens, ils n’en reste pas moins que le transport en commun a joué et joue encore un rôle primordial. De la Quebec Street Railway Co. de 1865 à la CTCUQ le transport en commun reste une carte majeure dans l’amélioration de la qualité de la vie urbaine.

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