1921: La bataille des fonds de pension des pompiers et policiers

1921: La bataille des fonds de pension des pompiers et policiers

Pompiers sur un véhicule à incendie vers 1925 (photographie). Source: Archives de la ville de Québec.

La Ville a signé hier une entente avec ses employés cols blancs. L’événement fait suite à des mois de négociations très difficiles, Régis Labeaume rejouant à la perfection pour la centième fois son rôle de coq du village teigneux et vindicatif. L’entente, semblable à celle signée avec les cols bleus, comprend quelques reculs pour les travailleuses et travailleurs.

Mais la question la plus litigieuse, toujours en suspens, est celle des déficits des régimes de retraite. La Ville souhaitant faire contribuer d’avantage les employés au mépris des ententes précédemment signées. Régis Labeaume en a fait son cheval de bataille prioritaire lors des dernières élections.

Habilement, celui-ci à refilé la question au provincial qui s’apprête à adopter une loi pour forcer le partage 50/50 des déficits. Autrement dit, une loi autorisant un « vol de salaire subtilement renégocié« .

Nous avons retrouvé un texte expliquant le contexte tumultueux dans lequel les fonds de pension ont été gagnés en 1921. Qui dit fonds de pension dit régime de retraite. Les travailleuses et travailleurs feront-ils preuve d’autant de combativité pour les conserver en 2014?

Texte paru en mai 1984 par Réjean Lemoine dans Droit de parole.

Juin 1921: La grève des pompiers et policiers de Québec

« La fin de la grève est une victoire pour la ville et incontestablement une défaite pour les grévistes qui font partie des unions nationales »

– Le Soleil 30 juin 1921

La Première Guerre mondiale imposa aux travailleurs-euses canadien-ennes de lourds sacrifices. Malgré les salaires de misère payés dans plusieurs secteurs industriels et manufacturiers, le gouvernement oblige les ouvriers canadiens à souscrire à l’effort de guerre. Pas d’augmentation de salaire, une force incitations à augmenter la productivité et une interdiction formelle de faire la grève, tels sont les règles du jeu entre 1914 et 1918.

Après la signature de l’Armistice en 1919, on constate un réveil de la combativité ouvrière.

Inspirée par la récente Révolution Russe de 1917, les travailleurs-euses descendent dans la rue et réclament justice. De nombreuses grèves éclatent et dans des villages comme Winnipeg, les ouvriers occupent la ville et devront subir la répression de l’armée canadienne. Le Québec ne reste pas indifférent à tous ces mouvements sociaux. Les organisations syndicales se renforcent, la syndicalisation augmente et les conflits de travail se multiplient. C’est dans ce contexte général que s’inscrit la grève des pompiers et policiers de Québec.

À l’époque les conditions de travail des pompiers et policiers sont très différentes des conditions actuelles. Ainsi le pompier-policier de Québec doit travailler en moyenne 80 heures par semaine pour un salaire qui varie entre 17$ et 24$ par semaine. Ce salaire comme plusieurs le reconnaissent à l’époque est largement insuffisant pour faire vivre avec un minimum de dignité une famille.

Mais la ville de Québec objecte toujours un manque de fonds quand vient le temps de parler d’augmentation salariale et d’amélioration des conditions de vie. En plus de faire preuve de mauvaise foi, la ville va utiliser les vieilles tactiques de harcèlement et de refus de reconnaître le syndicats des pompiers et des policiers.

Vers 1920, la ville de Québec compte à son service une centaine de policiers et plus de 200 pompiers et auxiliaires. Après la guerre les pompiers et les policiers décident de se regrouper dans deux syndicats affiliés aux unions nationales catholiques. En 1921 d’ailleurs les unions nationales se regrouperont en centrale syndicale sous le nom de Confédération des Travailleurs Catholiques du Canada, ancêtre de la CSN.

Les préparatifs de la grève de 1921

La ville de Québec ne voit pas d’un bon oeil l’organisation de ses pompiers et policiers. Ainsi elle fait espionner les réunions syndicales, tente d’identifier les leaders du mouvement pour pouvoir les congédier. En 1918 et 1919, les pompiers et policiers n’ont qu’à brandir la menace d’une grève pour ramener à la raison le conseil municipal. Mais ils ne peuvent réussir à obtenir de véritable gains. En 1921 arrive le moment d’une négociation qui s’annonce décisive, compte tenu de la volonté ferme des pompiers et des policiers de ne pas plier.

En avril 1921, l’union des pompiers et celles des policiers demandent la formation d’une commission d’arbitrage pour étudier leurs demandes salariales que la ville se refuse à étudier sérieusement. Devant cette manoeuvre, la ville réagit en faisant resigner des contrats d’engagement aux policiers qui visent à empêcher la formation de cette commission d’arbitrage. Les policiers protestent et réussissent à obtenir la tenue de cette commission.

Deux commissions d’arbitrage sont formés. Une pour les policiers et une autre pour les pompiers. La principale demande des pompiers et des policiers portent sur une augmentation salariale de 1.50$ par semaine. Les commissions d’arbitrage sont formées d’un représentant de la ville, d’un représentant syndical et d’une personne neutre (?). En mai 1921 la commission d’arbitrage pour les policiers rend sa décision et celle des pompiers le 5 juin.

Dans les deux cas, on s’entend pour accorder un dollar par semaine de plus, assorti de la proposition au conseil municipal de mettre en place un fonds de pension pour les pompiers et les policiers de Québec.

La ville de Québec décide de faire fi des recommandations des deux commissions d’arbitrage et de laisser trainer les choses, refusant de voter une augmentation de salaire à quiconque. Face à cette attitude, il ne reste plus aux pompiers et policiers qu’à utiliser l’arme de la grève. Pour que leur mouvement ait plus d’efficacité, les pompiers et les policiers décident de faire grève ensemble.

Un ultimatum est lancé au conseil municipal. En assemblée générale des syndiquées fixent au 25 juin à minuit le début de la grève. Dans la soirée du 25 juin, le conseil municipal se réunit d’urgence pour finalement accepter les recommandations des commissions d’arbitrage, mais il est maintenant trop tard. Les leaders syndicaux ne peuvent plus rappeler en assemblée générale leurs membres et les consignes de grève ont toutes été données dans les casernes.

Le déroulement de la grève

Dès la première menace de grève des policiers en 1918, la ville avait préparé le coup en négociant une entente de service avec les autorités militaires du 22e Régiment stationné à Québec. Dès l’annonce de la grève en 1921, le maire Samson fait appel à l’armée pour protéger les citoyens de Québec. Les grévistes avaient bien prévu leur coup puisqu’ils avaient choisi la longue fin de semaine de la Saint-Jean-Baptiste pour déclencher leur coup. Pas de fonctionnaires en service, plusieurs militaires en congé et surtout pas de journaux pour répandre leur habituel venin anti-syndical dans la population. Samedi soir le 25 juin, la ville de Québec est livrée à elle-même.

Après leur dernier quart, les policiers et pompiers se regroupent près de l’Hôtel de ville. Ils descendent regroupés en Basse-ville par la Côte d’Abraham. Les vitres des grands magasins volent en éclat tout le long du chemin des policiers et des pompiers. Leur objectif est de se rendre à la résidence du maire Samson pour lui annoncer le début de la grève et peut-être pour négocier. De toute manière, les grévistes vont insuter et invectiver le maire Samson. Avant de partir ils n’oublient pas de faire voler en éclat les belles vitres de sa résidence. Le maire se rappellera surement le passage des grévistes.

Pendant que l’armée investit les points stratégiques de la ville, le maire Samson prépare de belle façon sa réplique. Lundi matin à la première heure, la ville de Québec engage une fournée de 80 scabs et ouvre certaines stations de police et de pompiers sous la protection de l’armée. Afin de diminuer la combativité des grévistes, le maire fait arrêter et emprisonner 28 pompiers et policiers qui sont considérés comme les leaders de la grève dont le président de l’Union des pompiers M. Wilfrid Gariépy. De plus le maire Samson menace de faire lire l’Acte d’émeute si les grévistes continuent leurs manifestations devant les casernes.

Suite aux mesures de répression, une grande assemblée des grévistes est convoquées à la Halle Saint-Pierre pour lundi soir le 27 juin. Les grévistes acceptent la formation d’une délégation pour aller négocier avec le maire Samson, des députés provinciaux, des prêtres et des chefs syndicaux forment cette délégation mais Samson refuse de recevoir les députés Martin Madden et Arthur Paquet pour éviter les chicanes politiques. Quant aux aumoniers des deux syndicats, les abbés Delisle et Théberge, bien que réticents à la grève, ils sont solidaires des décisions des grévistes. Ils prêchent évidemment pour la modération et la négociation. Cependant ils semblent avoir reçu des ordres formels du Cardinal Bégin pour tenter de mettre fin le plus tôt possible à la grèves.

L’ensemble de la presse de l’époque s’oppose à la grève et appuiera les décisions du maire Samson surtout quand les grévistes tentent de s’en prendre aux scabs qui combattent un incendie sur la 8e avenue à Limoilou. À cet endroit les grévistes auraient coupé des boyaux d’arrosage, retardant le travail des pompiers-scabs en leur lançant des pierres. Le Soleil, organe du parti libéral prend position contre les grévistes mais il est plus nuancé que les autres journaux, étant un adversaire politique du maire Samson. Le Soleil prend position en des termes que ne renieraient pas nos libéraux actuels:

« Nous proclamons que le droit de grève est sacré, qu’il est reconnu par la doctrine catholique, mais d’autre part, nous ne pouvons pas admettre que la grève puisse être permise à des fonctionnaires chargés de la protection des existences et des propriétés d’une ville ».

La fin de la grève

La grève prend fin le mercredi 29 juin à midi quand les grévistes acceptent de réintégrer leurs casernes. Seuls ne sont pas réintégrés ceux qui ont été trouvés coupables de crimes contre la propriété, une dizaine environ. Tous les journaux affirment que les grévistes ont perdu la grève et ont cédé à un ultimatum du conseil municipal qui voulaient tous les congédier s’ils ne reprenaient pas leur travail. Le maire se gargarise dans les journaux de ne pas avoir cédé à la menace et aux insultes.

Cependant malgré l’optimisme de facade et les déclarations publiques, il semblerait plutôt qu’on en soit arrivé à une entente de part et d’autre. Exception faite des gains salariaux acquis dès le départ des grévistes n’ont pas fait de gains substantiels. Sauf qu’ils ont réussi à obtenir le respect du conseil municipal et un minimum de respect pour leur travail. Avant cette date de 1921, les pompiers et les policiers de Québec étaient engagés par protection politique et étaient mal payés. Après cette grève qui leur a permis d’obtenir un fonds de pension et de meilleures conditions de travail, les policiers et les pompiers deviendront des professionnels bien payés qui ont oublié leur solidarité avec la classe ouvrière, se consacrant avec bonne conscience à toutes les jobs de répression qu’on leur demande pour le meilleur et pour le pire.

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