Par Farruco, syndicaliste de la FTQ
Aujourd’hui encore, au sein du local régional de la Côte Nord du 791, union des opérateurs de machinerie lourde, Bernard Gauthier, que plusieurs connaissent mieux sous le sobriquet de « Rambo », occupe le poste de représentant syndical. Il n’a pas été parachuté là par une instance supérieure, par la mafia ou les Hells Angels, mais bel et bien choisi par les membres de son local pour défendre leurs intérêts dans une région que nous, citadins, ne pouvons pas comprendre réellement.
Il est là depuis assez longtemps pour avoir traversé plusieurs maraudages, autant d’occasions pour les membres du local qui auraient été mécontents de sa présence de changer d’allégeance syndicale. Des méthodes allant à l’encontre des intérêts de ses membres auraient entrainé un mouvement de masse vers une des autres centrales syndicales et, de facto, son remplacement.
Bien entendu, les médias de masse se sont fait un devoir de le dépeindre comme un dur à cuire qui ne connait que deux moyens de fonctionner : la violence et l’intimidation. Sachez que Gauthier n’est certainement pas un enfant de cœur et qu’il a effectivement une carrure qui puisse paraître imposante, mais est-ce que cela suffit pour en faire l’ennemi public numéro un?
Un milieu rough
Le milieu de la construction est, du moins pour le moment, unique en son genre. Surreprésentation masculine, franc parlé (souvent sans détour, quelques fois agressif) et crainte de la part des employeurs ne sont pas des aspects courants au sein des autres milieux de travail à travers la province. Ce milieu est loin d’être parfait, il déplait à plusieurs, surtout aux dirigeants économiques et politiques.
En région éloignée comme celle représentée au sein du 791 par Gauthier, on doit ajouter à cela la dispersion de la main d’œuvre sur un territoire immense combinée à des opportunités trop rares de travail. Bref, la combinaison parfaite pour tout employeur qui n’a pas l’intention de respecter les conventions collectives en faisant jouer les chômeurs contre les travailleurs.
La méthode Rambo
C’est alors que la « méthode Rambo », comme les médias de masse ont tenté de la nommer, apparaît. Les employeurs devaient alors consulter le syndicaliste pour avoir efficacement accès à la main d’œuvre. En contrepartie, Gauthier s’assurait de fournir les travailleurs nécessaires à l’employeur en tentant, selon ses dires, de ne pas toujours faire travailler les mêmes et de favoriser les nouveaux diplômés souvent méprisés par les employeurs puisque considérés comme non rentables ou pas assez qualifiés. Bien entendu, il tirait aussi la couverture du côté des travailleurs en faisant respecter à la lettre la convention collective et un peu plus.
C’est là qu’il a commencé à être vraiment dérangeant. On ne lui a jamais reproché d’avoir volé l’argent de ses membres ou des contribuables pour la mettre dans ses poches comme l’ont fait les « hommes d’affaires » précédemment entendus à la commission Charbonneau. On n’a même jamais été capable de déceler quelque lien que ce soit entre lui et n’importe quelle organisation criminelle connue. On lui reproche son ton, le fait qu’il soit imposant et se méthodes assimilées à de l’intimidation, terme complètement vidé de son sens depuis des mois de commission d’enquête.
Un survol des accusations qui lui ont été portées permet rapidement de voir qu’avec Rambo, si les employeurs respectaient les membres du 791, la santé et sécurité au travail et la convention telle qu’interprétée par les membres du 791, ils s’en sortaient plutôt bien, retournant chez eux les poches pleines. Alors pourquoi avoir attaqué la « méthode Rambo »?
Bien entendu, les médias, les politiciens et les employeurs disaient que c’était une manière de fonctionner frauduleuse qui défavorisait les travailleurs des autres centrales syndicales et qui faisait exploser les coûts. Bref, dans l’opinion publique, Rambo et la FTQ Construction étaient rendus les pires voyous que la province ait eu à supporter de son histoire.
Derrière ce nuage de fumée médiatique se cache le véritable problème : le rapport de force, pour une fois, n’avantageait plus les patrons mais bien les syndiqués du 791 de la région en question. Les entrepreneurs ne pouvaient plus gérer leurs chantiers comme ils l’entendaient puisque non seulement ces membres étaient solidaires, mais ils ne craignaient pas de perdre des journées de salaire afin de se faire respecter.
D’un seul coup, l’ordre naturel des choses, selon notre système économique, venait de se retrouver sans dessus-dessous. À en croire les médias, à lui seul, Gauthier était capable de mettre une région à genoux et de mener à mal les finances publiques. Le véritable problème est simple pourtant : les employeurs ne pouvaient plus gérer leurs affaires comme bon leur semblait.
Soyons sérieux un instant. Gauthier n’a jamais agit seul. Derrière lui se trouvaient constamment les véritables forces du changement : des travailleurs et des chômeurs en colère et solidaires. Tout ce que Rambo a eu à faire, c’est de canaliser ces forces déjà existantes qui voulaient mettre au pas les employeurs. Il n’était pas présent sur tous les chantiers de la région, mais il avait des yeux partout qui lui rapportaient tout. Les gens œuvrant dans le domaine syndical de l’industrie de la construction le savent, la seule façon d’en arriver là est d’avoir la confiance de ses membres. Si Rambo n’avait pas fait un bon travail pour ses membres, il n’aurait pas pu avoir l’impact qu’on lui attribue aujourd’hui.