La campagne RTCGratuit va bon train et les membres du comité sont en train de peaufiner l’argumentaire appuyant la gratuité du transport en commun. Dans les prochains jours, nous en publierons des extraits pour vous inviter, lectrices et lecteurs, à les commenter, critiquer et à en débattre. Nous garantissons que tous vos commentaires seront pris en compte. Cette semaine, Lynda nous parle du droit à la mobilité.
La gratuité du transport en commun dans une perspective de justice sociale
Le transport en commun est un service public qui devrait être gratuit parce que nous le revendiquons comme l’application d’un droit: le droit à la ville. De nombreuses catégories de personnes font face à des obstacles dans leur quête de biens, de services et d’emplois.
La FTQ en 2005 déjà dans « Transport collectif et urgence d’agir » définissait le principe du «droit à la ville» comme étant «le droit des citoyens à accéder pleinement à la ville contemporaine, c’est-à-dire à une ville ouverte, variée et multiforme, aux modes d’habitat diversifiés, aux emplois multiples, aux pratiques hétérogènes, aux cultures nombreuses».
Pour que ce Droit à la ville puisse véritablement s’exercer, il faut jouir du droit à la mobilité.
Le droit à la mobilité est encore à définir à travers le monde. (Dans un camp de réfugiés, par exemple, on n’invoque guère le droit à la mobilité de la même façon). Dans toutes les sociétés, se déplacer dans les villes, vers les villes et hors des villes est une nécessité pour accéder à la plupart des biens et des services.
Les transports sont donc désormais indispensables pour l’accès au logement, au travail, à l’éducation, à la culture, à la santé, aux loisirs, à l’autonomie des individus, à la vie collective. Or, lorsqu’il s’agit du transport en commun, le droit à la mobilité est directement ENCORE lié à la capacité de payer.
Les restrictions à la mobilité restreignent d’autres droits et sont un facteur d’exclusion sociale. Faute de se payer l’autobus, on reste confiné dans son logement.
Le droit à la mobilité est déjà inscrit dans la Charte mondiale du droit à la Ville
Les villes garantissent le droit à la mobilité et à la circulation dans la ville basé sur un système de transport public accessible à tous, […] à un tarif raisonnable adapté aux revenus de tout un chacun.
– Article XIII. Droit à la mobilité et aux transports publics.
La juste part: 0$
C’est ici que nous verrons que le seul tarif qui nous semble raisonnable, à nous, c’est la gratuité, qui profiterait d’abord, aux plus démuniEs, aux aînéEs, aux étudiantEs, et à moyen terme, même à la classe moyenne avec l’effritement socio-économique en cours. L’augmentation du prix du pétrole devrait jouer en ce sens dans les années à venir.
Le plan de mobilité durable de la ville de Québec parle des besoins des familles modestes en regard de cet aspect.Pour les statistiques, les chiffres d’il y a 8 ans montraient que 72% des gens de Québec se déplaçaient en auto, 9% en transport collectif, 14% à pied et 1% en vélo. Il est possible que des chiffres plus récents changent un peu pour les cyclistes, mais pour la proportion auto vs autobus, ça doit tourner autour de ça, 70% et 10%.
Il y a 10 ans, l’Institut pour la ville en mouvement mettait la question du « droit à la mobilité » dans sa charte fondatrice :
«pouvoir se déplacer dans nos sociétés urbanisées est devenu indispensable. Les droits au travail, au logement, à l’éducation, aux loisirs, à la santé, etc., passent ainsi par une sorte de droit générique qui commande tous les autres, le droit à la mobilité».
Cette question était moins celle d’un «droit de» (de circuler) que celle de la mise en œuvre d’un « droit à » l’accès aux ressources diversifiées dont les individus ont besoin pour se construire.
Retenons bien ici «droit générique», c’est à dire un droit qui en amène d’autres, dont les droits au travail et à la santé. Il s’agit donc d’un droit à double dimension :
- on doit circuler librement
- on doit avoir les moyens réels de se déplacer.
Qu’est-ce qui nuit au droit à la mobilité?
La question des transports dans notre société est un sujet complexe. D’abord, les déplacements sont directement liés aux modes d’organisation sociale et économique et, ensuite, ils reflètent les priorités que cette société se fixe à différents niveaux.
Par exemple, de nos jours, les activités de la vie normale se font sur des territoires de plus en plus grands, le contraire de la densification tant vantée, et de plus en plus souvent selon des rythmes exigeants. Ainsi, quelqu’un de bien «inséré» parcourt quotidiennement plusieurs kilomètres et en plus doit le faire très rapidement. Une question revient souvent dans les offres d’emploi : doit pouvoir se déplacer, doit avoir une voiture.
La mobilité, aujourd’hui, c’est la norme.
Revendiquer le droit à la ville, donc le droit à la mobilité, amène à nous dire qu’il y a une forte pression sociale pour la norme : la mobilité.
Dans le même ordre d’idée, l’agencement des villes actuelles, organisé autour des véhicules routiers, ne favorise pas les services, le commerce, ni les emplois de proximité. C’est le contraire de la densification. Pour les populations marginalisées, [ici marginalisées se lit sur le plan économique, en vertu de l’exclusion sociale] il est souvent impératif d’avoir accès à une voiture ou aux transports collectifs pour la mobilité. Or, l’offre en transports publics est généralement mal adaptée aux besoins de la population des quartiers centraux et pauvres, dans lesquels sont surreprésentés les jeunes, les familles nombreuses et les chômeurs, ou les travailleurs aux emplois peu qualifiés et aux horaires décalés, au contraire des employéEs desserviEs par les horaires des bus suivant les ‘’heures de pointes’’.
Puis, quand les transports collectifs existent, leur coût élevé restreint les possibilités de déplacement pour les personnes à faibles ressources.
C’est un cycle : moins de revenu, moins de passagers dans les transports en commun, et donc moins de service dans les quartiers défavorisés, ce qui cause l’enfermement des populations de ces quartiers. Ce sont donc les personnes dont les revenus sont les plus faibles qui rencontrent le plus de freins à la mobilité alors que, justement, avoir des problèmes pour se déplacer, c’est réduire ses chances de trouver un emploi, de se former, de se soigner, de rencontrer des amis, de se distraire, bref d’avoir une vie sociale riche et structurante, et donc, d’arriver à sortir de l’enfermement…
On a pu voir ce désengagement de la classe politique envers le transport en commun, magnifiquement illustrée par le maire Labeaume par cette question pseudo rhétorique lors de sa dernière campagne électorale : ‘’Qui rêve de prendre l’autobus?’’
Revendiquer le droit à la ville, donc le droit à la mobilité, amène à nous demander comment favoriser la mobilité pour le plus grand nombre? Favoriser l’accès à la mobilité est indispensable à l’insertion des populations en difficulté et le renforcement du lien social. Car, à l’évidence, tout le monde n’est pas égal devant la mobilité!
En transport, on identifie 4 types d’exclusion sociale
- spatiale: ne peut accéder au lieu où on désire se rendre. Le transport en commun ne va pas partout ni, surtout, quand on en a besoin.
- temporal: ne pas pouvoir se rendre à destination dans un délai raisonnable. Le transport en commun à Québec, est bien plus lent qu’à peu près tous les autres moyens de transport, y compris la marche.
- financière: ne pas avoir l’argent nécessaire à son déplacement. À Québec, la carte mensuelle d’autobus coûte 53$ pour les étudiant.es, 79,25$ pour le général, et 39,50 pour les ainé.es. Il y a une hausse de 2,5% cette année. Pour une famille de deux enfants et de deux adultes, un aller-retour, cela représente entre 18 et 26$ la sortie.
- personnelle: il y a des handicaps ou problèmes qui empêchent d’utiliser différents moyens de transport individuels. Question subsidiaire : la revendication de la gratuité du transport en commun pour tous va toucher le ‘’service du transport adapté’’ présentement desservi par le RTC. La ‘’norme’’ est la mobilité.
D’autre part, les situations d’exclusion sociale sont multiples et présentent des points communs dont certains sont plus connus, comme les difficultés d’accès au logement, tandis que d’autres le sont moins. C’est le cas justement des obstacles rencontrés dans les pratiques de mobilité de la vie courante : courses à la recherche d’emploi ou à des soins de santé ou encore pour la garde des enfants ou pour les commerces d’alimentation, les pharmacies et les autres nécessités.
La question de la mobilité n’est donc pas qu’une question de transports mais est aussi une question de droit – au même titre que le logement – qui doit être prise d’autant plus au sérieux que dans notre société le manque de moyens de déplacement peut devenir un important facteur d’exclusion sociale, économique et même politique.
La gratuité pour améliorer le tissu social
La mobilité des individus favorise en effet leur inclusion sociale.
Cela leur permet de se relier à leur famille et leurs amis ainsi que d’avoir accès aux institutions et aux différents services de la société, que ce soit les centres communautaires, les bibliothèques publiques, les ressources de soutien, tels les centres de femmes et les organismes communautaires. Cela augmente aussi le sentiment de faire partie d’une collectivité. Côtoyer « son monde » a des impacts sur la santé psychologique des individus!
L’inaptitude à la mobilité, qu’elle résulte d’une absence d’automobile et/ou de transports publics adaptés aux besoins, de la difficulté à pratiquer les moyens de transport ou de l’espace, ou encore d’une méconnaissance des ressources offertes par certains territoires voisins, se traduit par une difficulté d’appropriation de l’espace et constitue un handicap empêchant de mener une vie normale. C’est ce que certains experts nomment la « trappe d’immobilité ».
En quoi la gratuité du transport en commun serait une solution novatrice afin d’améliorer la mobilité des populations plus défavorisées?
Québec est une ville qui privilégie la voiture, et cette culture met le transport individuel au centre du concept de mobilité, en plus de la faire dépendre d’un accès (inégal) à un bien de consommation, donc du pouvoir d’achat, ou de l’accès au crédit.
Nous considérons que l’enjeu du transport lui, est un problème collectif – et non individuel – dont les racines sont systémiques, il faut des systèmes de transport adaptés aux besoins essentiels des populations vulnérables. L’accessibilité au transport en commun dans la lutte contre l’exclusion sociale est un enjeu majeur. Pour les personnes les plus pauvres le transport en commun n’est plus un choix et son inaccessibilité a des effets négatifs sur de nombreux autres aspects de la vie des personnes.
La disparité en mobilité contribue au maintien des plus démunis dans la pauvreté. La déconcentration des lieux d’emploi diminue l’accès à la mobilité et l’accès aux opportunités. Les emplois qui demandent peu ou pas de qualifications (et qui pourraient aider des gens peu ou pas diplômés à sortir de la pauvreté) sont souvent situés en périphérie des villes, ou dans des zones industrielles peu ou pas desservies par le transport en commun. Ces emplois à petits salaires forcent l’achat et l’entretien d’une voiture, ce qui alimente l’endettement, donc la spirale de la pauvreté.
L’iniquité dans l’accès aux ressources: on dépense beaucoup plus en infrastructures routières, qui profitent aux automobilistes, qu’en transport en commun, pistes cyclables et aménagement piétons. Depuis les années soixante-dix, le gouvernement du Québec s’est largement désinvesti du financement des transports publics. Et ça continue.
La gratuité pour lutter contre l’exclusion sociale
Ces dernières années, la détérioration des conditions de vie des personnes vivant en situation de pauvreté est devenue fort inquiétante au Québec. L’augmentation dramatique de la fréquentation des banques alimentaires en est un exemple probant.
Mais l’impossibilité pour de plus en plus de personnes de se déplacer en est un autre moins connu puisqu’il est moins visible mais ayant des effets importants sur la situation des personnes. L’immobilité qui leur est imposée pousse à l’isolement ainsi qu’à l’exclusion sociale et économique.
Plus on se retrouve en situation de pauvreté, plus on a de la difficulté à avoir accès au transport et à se déplacer.
La gratuité du transport en commun est une mesure d’équité et de justice sociale. Certes, cela n’effacerait pas d’un coup de baguette magique tous les stigmates de la pauvreté chez les individus concernés. Mais vu que toute tarification constitue un frein à l’utilisation du service public, la gratuité est une mesure d’égalité et d’universalité qui, s’appliquant à tous et toutes, rétablit ainsi l’équilibre social. De plus, avec l’affluence accrue dans le transport en commun, cela aurait d’autres avantages qui seront abordés plus loin.