Le président de la Fraternité des policiers et policières, Bernard Lerhe, pète les plombs. Fort nerveux suite à la mise à mort d’un cycliste par deux de ses membres, Lerhe distribue les blâmes. Non, bien sûr, pas à ceux qui auraient causé la mort de Guy Blouin. Mais à tous ceux et celles qui critiquent le travail des membres de sa Fraternité.
«Les porte-paroles de la Ligue des droits et libertés, les leaders d’opinion et certains prétendus spécialistes […] doivent cesser d’attiser les tensions», claironne le tragédien Lerhe, dans une affirmation plutôt floue. Quels leaders d’opinion? Quels spécialistes? Plus tard, Lehre (Kojak pour les intimes) mentionne aussi le nom du rappeur limoilois Webster.
Il semble que ces deux boucs-émissaires, la Ligue des droits et libertés et Webster, sont très mal choisis. En effet, loin d’attiser les tensions, ces deux-là sont plutôt du genre à prodiguer de sages conseils.
La Ligue
La Ligue des droits et libertés travaille sur le dossier de Saint-Roch depuis des années. Elle a une stricte approche légaliste, invoquant la loi et les Chartes des droits et libertés à toute occasion.
Par exemple, en 2010, la Ligue a organisé une conférence sur « La judiciarisation des personnes marginalisées » au sous-sol de l’église Saint-Roch. Cela faisait suite à la parution d’un avis de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse concluant que le profilage social dont étaient victimes les sans-abri de Montréal est discriminatoire et contraire à la Charte des droits et libertés de la personne. Ça fait donc au moins 5 ans que la Ligue tire la sonnette d’alarme.
En avril 2014, la Ligue met sur pied la 3e édition du forum sur le parvis. Il est proposé « des solutions alternatives à la répression des marginaux : des services adaptés à leur réalité, une meilleure connaissance entre les divers acteurs du quartier et l’acceptation des différences. »
La Ligue, loin d’attiser la haine, agit plutôt en gardien de phare, en révélant les problèmes du quartier et en proposant des solutions. La Ville a-t-elle pris la peine d’écouter?
Webster
Malgré son jeune âge, Webster est un vieux sage, un de ses albums s’appellant d’ailleurs « Le vieux d’la montagne ». Historien à ses heures, il tient à l’occasion des conférences sur l’histoire des Noirs. Il est toujours là pour défendre son art, le hip-hop, et son hood, Limoilou.
Il est plutôt du genre à ménager la chèvre et le chou. J’étais là lorsqu’il s’est adressé aux médias-vautours du parvis. Oui, il a affirmé que certains policiers avaient une attitude agressive. Mais c’était pour aussitôt ajouter que tous les policiers ne sont pas comme ça, qu’il y en a des bons, et des moins bons. J’ai surtout retenu que Webster souhaite un plus grand rapprochement entre les patrouilleurs et la population. Une meilleure connaissance réciproque.
Sa fameuse chanson « SPVQ« , si on prend la peine de l’écouter attentivement deux minutes, comme nous invitons Lehre à le faire, propose aux gens de « prendre des notes » et « faire des dossiers » sur les policiers qui abusent de leur pouvoir. On est loin du « cops are just like Hitler’s Third Reich, do what they want » d’Anti-Flag.
Lehre se permet même en extra une menace voilée à Webster: « Il devrait peut-être se recycler et aurait intérêt à se taire plutôt que de dire n’importe quoi. Ça peut avoir des conséquences importantes« . Mais il faut dire que la police a toujours des petits extras pour les Noirs.
Lehre a peur de quoi?
Alors pourquoi Lehre est-il aussi pressé de faire taire les critiques? Que craint-il?
Soyons lucides, ses membres ne risquent absolument rien. Comme le mentionne le juriste Simon Tremblay dans la section opinions du Soleil de ce matin: « Par expérience, je vous dirais que les policiers ne perdront même pas leur emploi et ne seront probablement jamais poursuivis au criminel pour cette bévue meurtrière. » C’est triste, mais les policiers s’en tirent toujours très bien.
Ensuite, on déplore l’état actuel des choses laissant à un autre corps policier, à la SQ, le soin d’enquêter sur le SPVQ. Pour régler ça, on demande la création en 2016 d’un Bureau des enquêtes indépendantes. Cette solution est présentée comme étant la solution-sésame réglant tous les problèmes; des groupes ont pourtant fait remarquer que Le Projet de loi 12 permet toujours à des policiers d’enquêter sur d’autres policiers.
La question reste en suspens: de quoi Lehre a-t-il la chienne?
Si la police refuse aux critiques, même les plus soft, de s’exprimer, que restera-t-il?
Pour moi, les interventions intempestives de Lehre me semblent beaucoup plus propices à attiser la haine. Et les policiers et policières en sont les seuls responsables.