Je viens de terminer la lecture de « Marqués du triangle rose« , un bouquin des éditions Septentrion sur la répression des homosexuels par les nazis dans les années 30. Il raconte la réalité des homosexuels et des lesbiennes de l’époque et offre des témoignages d’homosexuels l’ayant vécu. Le livre est bouleversant.
Le Berlin d’avant-guerre est un milieu particulièrement ouvert à la diversité sexuelle. Pour donner une idée, en 1918, le premier film international à thématique gaie, Anders als die Andern (Différent des autres), est réalisé en Allemagne. Les quartiers gais et les publications pour homosexuels y étaient fleurissant-e-s.
Cette acceptation de la diversité prend fin avec l’arrivée au pouvoir des brutes nazies dans les années 30. Les gais seront envoyés dans les camps de la mort avec les juifs et les communistes.
À la fin de la lecture du bouquin, on constate à quel point nos acquis sont fragiles et que, bien que le sort des minorités sexuelles s’est amélioré depuis quelques décennies, on peut craindre que tout bascule en un rien de temps.
À la dernière marche de la Fierté gaie à Montréal, la chroniqueuse Lise Ravary a ainsi écrit dans le quotidien le plus lu au Québec :
« la vulgarité qui se manifeste par moments au défilé de la Fierté déplaît à plusieurs. Il n’y a pas une cause sur la terre qui me fera sortir de chez moi pour me retrouver nez à nez avec des fesses d’hommes poilues. Ou pour « admirer » des travestis dont le fonds de commerce est d’avilir les femmes. »
Dans sa chronique pleine de mépris, Ravary laisse entendre que l’homophobie proviendrait plutôt de « certaines communautés culturelles et religieuses ». Ravary en bonne peureuse ne précise pas lesquelles, mais tout le monde a compris parce qu’elle écrit pour Québecor, un média spécialisé dans les fausses nouvelles islamophobes.
Il y a toujours de l’homophobie? C’est à cause « des autres », en somme!
Aussi, l’an dernier, Éric Duhaime publie un livre intitulé « La fin de l’homosexualité et le dernier gay » dans lequel il s’attaque au « lobby gai » qui se plaindrait trop pour rien à son goût. Il faudrait ranger le drapeau arc-en-ciel et plutôt se servir un verre de champagne pour célébrer la victoire.
Et celles et ceux qui n’ont pas les moyens de se le payer peuvent bien aller se plaindre dans un « lobby gai ».
Il y a là-dedans un discours bien connu. C’est une espèce d’invitation à passer par-dessus les blessures du passé. Cette pression de tourner la page, de passer à autre chose, vite, très vite, sans avoir à répondre à des questions dérangeantes.
On dit la même chose des Autochtones. « Ah oui, mais vous savez, il faut en revenir des pensionnats. Ça fait longtemps! »
Vous allez me dire que ça n’a rien à voir. Je dis qu’au contraire, il y a des points communs à toutes les formes d’oppressions.
L’oppression est toujours là
Sous le régime nazi, les hommes homosexuels sont envoyés dans des camps de concentration. Sur l’uniforme des détenus, les Juifs portent la couleur jaune, les personnalité-e-s politiques le rouge, les criminel-le-s le vert, les personnes associales le noir, le violet pour les Témoins de Jéhovah, le bleu pour les travailleurs et travailleuses forcés non-allemands et le brun pour les Roms.
Les homosexuels étaient identifiés par un triangle rose. On leur réserve les traitements les plus cruels.
Après avoir été délivrés des camps de concentration, les gais survivants ont découvert que la libération était pour tout le monde sauf eux. En effet, la stigmatisation et la répression se sont poursuivies, intactes, après la fin du régime nazi.
Dans l’Allemagne de l’Ouest, la version améliorée par les nazis du paragraphe 175 criminalisant les personnes LGBT continue d’être appliquée jusqu’en 1969. Entre 1949 et 1969, 100 000 hommes seront ainsi condamnés à des peines de prison pour avoir simplement fréquenté des gens du même sexe. L’Allemagne de l’Est communiste en conserve aussi une version moins stricte jusqu’en 1968.
Mais ce n’est qu’en 2001 que le gouvernement allemand a finalement reconnu que les gais avaient été victimes du régime nazi. Les survivants ont été invités à se faire connaitre pour réclamer une compensation, mais bien entendu, la plupart étaient déjà morts.
C’était il y a 17 ans.