Anastasie, 1874
S’il y a une chose que les anarchistes connaissent bien c’est la répression et la censure.
Quand Emma Goldman visite la Russie pendant la guerre civile vers 1918, elle constate que la plupart des anarchistes ont tout simplement été foutus en prison. Le bolchévique Lénine, qui avait lui-même tâté un peu les geôles du tsar, n’avait pas tardé à éparpiller ses opposants dans l’archipel du goulag aussitôt arrivé au pouvoir. Pendant son séjour, Goldman a même visité Kropotkine, assigné à demeure dans sa propre maison.
Dans le Québec du 20e siècle, des livres sont mis à l’index parce qu’ils dérangent l’omnipotente église. En France, des censeurs du gouvernement bannissent des milliers d’oeuvres (livres, films et chansons). Une vingtaine de chansons de Georges Brassens ont ainsi été rejetées par le « comité d’Écoute en Radiodiffusion ».
C’est pourquoi il est stupéfiant de lire des chroniqueurs de droite comme de gauche utiliser le gros mot « censure » pour qualifier les critiques de Robert Lepage au sujet des spectacles SLAV et Kanata.
Il y a même une chroniqueuse aujourd’hui qui évoque le Refus global, suggérant que les personnes noires et autochtones d’aujourd’hui sont similaires aux curés liberticides d’antan.
Les prêtres d’autrefois étaient imbus d’eux-mêmes, baignaient dans leur égocentrisme et faisaient des sermons à tout le monde sur la bonne façon de penser. Bref il n’y a rien qui ressemble le plus à un curé qu’une chroniqueuse ou un chroniqueur aux idées bien campées.
Refus Global: une mise au point s’impose
Le Refus global est un manifeste lancé par les Automatistes, un groupe d’artistes très influencés par les surréalistes. À l’origine, il est intéressant de noter que le mouvement vise avant tout à saper les fondements du conservatisme du milieu artistique québécois.
« L’oeuvre d’art participe à la critique du monde bourgeois, de ses valeurs comme de ses catégories. Les automatistes combattent aussi « l’académisme », c’est-à-dire les formes d’expression figées qui s’obstinent à reproduire le plus fidèlement possible la réalité extérieure ou les recettes artistiques toutes faites, qui ne laissent place à aucune spontanéité créative. » – Histoire de l’anarchisme au Québec, p.186.
En 1949, en pleine polémique sur la Loi du cadenas permettant de mettre tous fauteurs de trouble en prison, Pierre Gauvreau répond à un juge accusant les Automatistes de totalitarisme:
« Nous sommes une caste comme le sont les Nègres de l’Alabama et de l’Union sud-africaine, comme les Intouchables de l’Inde et les Iroquois de l’histoire du chanoine Groulx. Nous sommes définitivement et à toutes fins pratiques mauvais. Mais cela nous flatte infiniment. Ce n’est pas notre faute si nous sommes inexploitables par les puissants du jour et ceux de demain. » – Histoire de l’anarchisme au Québec, p.210.
Alors, à votre avis, les architectes du Refus global étaient-ils plus proches des défenseurs de SLAV et Kanata ou plutôt des personnes noires et autochtones?
Une question de pouvoir
Alors, SLAV et Kanata, qui a tort, qui a raison?
Rien de mieux que la bonne vieille analyse de classe pour le déterminer. Ça marche pour Mike Ward, pour le blackface, pour SLAV et bien d’autres affaires.
C’est très simple: Dans la vie, il y a des dominants et des dominés. Ceux qui dominent ont le pouvoir, les dominés n’en ont pas.
Alors pour faire surgir la vérité, il suffit de se poser une simple question: qui a le pouvoir?
La censure s’exerce à sens unique: du dominant vers le dominé. Il peut provenir de l’État ou d’une entreprise privée. En 2008, la compagnie minière Barrick Gold poursuit Écosociété pour plusieurs millions $ après la publication d’un livre intitulé Noir Canada: Pillage, corruption et criminalité en Afrique, critiquant les crimes commis par des entreprises canadiennes.
Ça, c’est de la censure.
Si les personnes noires et autochtones critiquent SLAV et Kanata, c’est pour avoir droit au chapitre. Pour exiger un minimum de dignité et de respect. Pour ne plus qu’on parle à leur place. Pour, précisément, faire valoir leur liberté d’expression.
Tout le contraire de la censure.
De la critique, du conflit et du débat jaillit une saine réflexion qui nous mène dans une connaissance plus grande de concepts jadis inconnus. Nul doute que Robert Lepage, ainsi que de nombreux autres, trouveront du temps éventuellement pour réfléchir à la notion d’appropriation culturelle, comme nos aïeux ont réfléchis au féminisme par exemple.
C’est ça le résultat au bout du compte.
Et nous finiront bien, un jour, par évoluer et comprendre que la liberté d’expression compte pour tout le monde. Même pour ceux et celles qui ne peuvent pas s’exprimer.